Au mois de juillet dernier, le ministère de la Culture et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ont rendu publique une étude, menée par le cabinet de conseil Bearing Point, sur « Médias et publicité en ligne : transfert de valeur et nouvelles pratiques ». L’étude s’appuie sur près de 60 entretiens avec des professionnels du marché publicitaire et sur un large recueil de données inédites relatives aux recettes publicitaires des éditeurs et des régies. Au-delà d’un intéressant descriptif du marché publicitaire actuel et d’une analyse des causes des transferts de valeur vers Internet, elle propose quelques leviers de reconquête à actionner par les acteurs de la presse et de l’audiovisuel.
Depuis l’apparition de la première bannière publicitaire en ligne, en 1994, les dépenses publicitaires des annonceurs au profit de la publicité en ligne n’ont cessé de croître, au détriment des activités traditionnelles des médias dits « historiques ». Ainsi, les recettes publicitaires de la télévision, de la presse imprimée, de la radio, de l’affichage extérieur et du cinéma ont diminué d’un tiers entre 2000 et 2017. Sur la même période, la publicité sur Internet n’a cessé de se développer pour attirer aujourd’hui plus d’un tiers du total des recettes publicitaires. La quasi-intégralité de la croissance du marché publicitaire sur Internet (92 % en 2017) provient des acteurs du référencement payant (search) et des réseaux sociaux, deux segments sur lesquels les acteurs des médias historiques sont très peu présents. De même, le display vidéo, l’univers mobile et la commercialisation publicitaire sous forme programmatique, bénéficient peu aux éditeurs historiques et à leurs régies publicitaires. L’achat en temps réel des espaces est là pour optimiser l’efficacité des investissements publicitaires plus que pour maintenir les recettes des régies des éditeurs. Le caractère disruptif de la vente en masse et en temps réel est avancé par les professionnels comme une raison de perte de valeur du marché publicitaire et de sa plus grande opacité.
Presse imprimée : entre 2000 et 2017, baisse des recettes publicitaires sur le support papier de 71 % (de 5,4 milliards d’euros à environ 1,5 milliard), à mettre en relation avec la baisse importante de la diffusion (de 7 milliards d’exemplaires dans les années 90 à 3,2 milliards en 2017). Malgré une progression forte et régulière de l’audience des sites et applications de presse ces dernières années, les recettes digitales auraient… diminué de 2 % en 2016 et 2017. Les acteurs de la presse ont une part de marché d’environ 16 % sur le marché du display, principalement grâce à des bannières classiques vendues en gré à gré. Mais ce format et ce mode de commercialisation sont en contraction, respectivement de 8 % et de 21 % sur 2016-2017.
Télévision : les pertes de la télévision sur son support historique sont moins fortes (- 17 % entre 2000 et 2017) mais ne sont pas compensées par les revenus générés sur Internet. La pub télé fait preuve d’une bonne résistance grâce à la qualité de son offre et à sa capacité à développer rapidement la notoriété et l’image des marques. Cependant, la multiplication des canaux de diffusion et la prolifération de l’offre vidéo sur les plateformes rendent difficile la monétisation des contenus, avec des audiences atomisées.
Radio : avec une perte de 15 % de ses recettes sur les dix dernières années, la radio n’a pas encore réussi à monétiser ses développements digitaux, que ce soient les podcasts ou les webradios.
Globalement, les acteurs historiques n’ont pas réussi à monétiser correctement leurs audiences sur le digital. L’automatisation et l’optimisation des achats médias Internet se fait au bénéfice des annonceurs et intermédiaires techniques (acteurs de l’optimisation de l’achat-vente programmatique), au détriment des éditeurs et régies qui devront se former pour maîtriser davantage les outils et les savoir-faire technologiques. Cependant, la lourdeur des investissements humains et techniques nécessaires empêche tout ROI à court terme.
Grâce à un reach très élevé et à des possibilités de ciblage à coût compétitif, Google et Facebook captent la très grande majorité de la valeur du marché de la publicité sur le digital, et même plus de 90 % du marché mobile. Deux acteurs qui accaparent une part des recettes bien supérieure à leur audience, des recettes digitales qui baissent pour les autres médias (entre 2016 et 2017) alors que le marché est en croissance : la situation est inédite dans l’histoire de la publicité.
Toutefois, les annonceurs sont de plus en plus conscients du caractère souvent incertain du contexte publicitaire sur internet, susceptible de mettre en danger leur image, et de la nécessité de préserver la diversité des supports pour assurer une efficacité durable de leurs investissements. Cette prise de conscience, véritable charnière pour le secteur publicitaire, laisse entrevoir un possible rééquilibrage du marché. Pour en tirer parti, les médias historiques devront relever de nouveaux défis : avoir des moyens techniques et humains suffisants, mutualiser (avec les concurrents d’autrefois) les investissements nécessaires, développer de nouveaux formats et des supports innovants pour créer de la valeur par le contenu, tout en collant au plus près des attentes des annonceurs.
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